le chemin d'Assise

Il part de Vézelay, passe à Cluny, le Beaujolais, les Alpes, l'Italie par le Piémont, la ligurie, la Toscane, puis Assise en Ombrie


                              Journal de bord du pèlerin

De retour de mon pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle, effectué en 2005, peu à peu, un autre prenait forme dans mon esprit, celui DU CHEMIN D'ASSISE

Il part de Vézelay, passe à Cluny, le Beaujolais, les Alpes, l'Italie par le Piémont, la Ligurie, la Toscane puis Assise en Ombrie.
Après m'être renseigné, via la lecture de différents documents, sur la vie de Saint François d'Assise, puis consulté l'itinéraire possible, ce pèlerinage me sembla plaisant, partir de sa maison pour aller à Assise sur les pas de saint François et de sainte Claire.

François d'Assise, né Giovanni di Pietro Bernardone (à Assise entre 1181 et 1182 – 3octobre 1226 à Assise), caractérisé par la prière, la joie, la pauvreté, l'évangélisation et le respect de la création. Il est Canonisé dès 1228 par le pape Grégoire.

Sainte Claire, née Chiara Offreduccio di Favaroneà Assise en 1193 ou 1194 dans une famille de la noblesse, morte dans cette même ville le 11 août 1253, disciple de Saint François d'Assise est la fondatrice de L'ordre des pauvres dames Clarisses.

Après concertation avec mon épouse, Marie-Thérèse, l'heure de la fameuse retraite ayant sonné, il ne fallait plus perdre de temps et organiser celui-ci le plus rapidement possible. Le mois de juillet fut retenu, plus précisément le lundi 16.
IL me fallut ensuite imprimer le topo-guide trouvé sur le site internet «chemin d'Assise». Et commander par la poste la créanciale qui est un document de recommandations qui engage celui qui le délivre comme il m'engage moi-même pèlerin le long du chemin, le présenter à mes hôtes sans pour autant faire valoir un droit quelconque. L'équipement envisagé restait pratiquement le même que pour le chemin de Saint Jacques, un minimum pour la toilette, manger, dormir, ne pas avoir froid et se couvrir en cas de pluie.
J'aime bien avoir une certaine autonomie, c'est pourquoi une toile de nylon qui tient avec mes deux bâtons de marche font une tente, un tapis de sol et un sac de couchage me donnent la possibilité de bivouaquer. Et bien sûr mon réchaud à bois pour la popote, réchaud fait avec une boîte de petits pois, donc très léger.

Jour après jour, puis un jour, Assise en vue.

Bon, nous voilà au matin du 16 juillet le sac est prêt. Mon frère, deux amis Louis et René vont m'accompagner jusqu'à Saint-Maurice les Châteauneuf. Il faut que je vous dise le départ est au seuil de notre maison. Dans ma tête c'est comme si je partais pour quelques jours, tout au plus une semaine. Il est 8 heures, le soleil est au rendez-vous, un ultime bisou à Marie-Thérèse quelques photos pour le souvenir et c'est parti. Chemins et petites routes seront au menu de cette première journée, et après une 1re erreur de parcours qui ne sera certainement pas la dernière, midi arrive sur St Maurice, et là, séparation d'avec mes coéquipiers d'un jour, après un dernier verre offert. Dans ce même resto, un voisin Jean-Paul, qui a ses habitudes ici arrive et m'offre de dîner avec lui. Puis je reprends la route vers Chauffailles arrivé vers 16 heures là, je pense trouver l'hospitalité chez le père Grobot mais il n'y a personne, je laisse un mot dans sa boîte aux lettres. Le camping est tout proche, pour cette nuit ça va aller il faut dire que le beau temps est revenu aujourd'hui même. Ma première nuit hors de ma maison.

Deuxième jour. Réveillé de bonne heure ce matin par le froid, beaucoup de rosée je plie en vitesse mon campement tout humide. À 7 heures sonnantes je quitte le camping. À Chènelette, épicerie et boulangerie sont ouvertes pour mes petites courses. Je m'installe devant l'église pour mon repas, et en profite pour faire sécher mes affaires au soleil. La route est encore longue pour atteindre Beaujeu et ses vignobles environnants. Quand je pars les matins, je ne sais pas encore où, le soir, je vais m'arrêter pour dormir. Pour manger, il n'y a pas trop de soucis, dans mon sac, en réserve, 2 sachets de soupe déshydratée, 1 boîte de sardines, pain et café. Les fruits, eux, trop lourds à emporter, sont consommés dès leur achat. Donc, me voici face à l'église de Beaujeu et y entre pour y saluer Jésus, à l'intérieur règne une fraîcheur agréable. À nouveau dans la rue la chaleur me surprend. Une voiture s'arrête au milieu de la rue, au volant, la conductrice me demande si je sais ou je vais passer la nuit, j'accepte avec joie son invitation. Magalie, car tel est son prénom, ainsi que son mari, sont d'anciens viticulteurs retraités. À travers de petites routes pittoresques, elle m'emmène jusqu'à sa maison, et m'installe gentiment dans une annexe réservée aux ouvriers de la vigne.

Troisième jour. Dans sa belle auto toute jaune, Magalie me ramène à mon point de départ. En route, elle me fait lui promettre une carte postale d'Assise, elle aussi a un projet de pèlerinage. Aujourd'hui, j'ai hâte de marcher sur le chemin, et en découvrir le balisage qui est, selon mon topo guide, minimal. Un petit autocollant avec un T au centre surmonté de la Colombe de la Paix. Le T est le Tau, dernière lettre de l'alphabet hébreu, symbole franciscain dont François d'Assise signait son courrier. Dès le départ de Beaujeu, ça grimpe dur, un chemin pierreux m'emmène, par de beaux points de vue, sur des plateaux. Vers midi, un banc en palettes, qui a dû servir à nombre de marcheurs, me sert pour ma pose dîner. Je cuisine avec le fameux réchaud à bois, et cette longue pause dans la nature me fait le plus grand bien. Dans un hameau, des habitants me prêtent leur téléphone pour prendre des nouvelles de chez moi. Je pensais m'arrêter à St Cyr le Chatoux, mais le regard un peu de travers des gens d'ici me contraint à poursuivre ma route. Un peu plus loin, une jeune maman, son bébé sur le bras me donne du pain et du chocolat, puis m'indique la bonne direction. Je pousse jusqu'à Montmelas ou je déniche un bar avec une petite épicerie, puis un bivouac sauvage derrière le mur d'une grande propriété, et cette nuit-là, une belle vue sur les illuminations de Villefranche-sur-Saône.

Quatrième jour. Le balisage, dans les grandes villes, est très difficile à suivre, ce qui fait qu'à Villefranche-sur-Saône, je perds le fil à suivre, et traverse la Saône sur le mauvais pont. Pour rejoindre Ars-sur-Formans, je dois emprunter une route à grande circulation. C'est la première fois que je viens ici, au pays du saint curé,

Jean-Marie Baptiste Vianney, dit le Curé d'Ars ou le saint Curé d'Ars, est né le 8 mai 1786 près de Lyon et mort le 4 août 1859 à Ars-sur-Formans. Il fut curé de la paroisse d'Ars pendant 41 ans.

Je demande l'hospitalité à l'accueil la Providence, on me répond vous avez réservé? Il n'y a plus de place... Dans un autre établissement, la Maison Saint-Jean, idem. Cependant, on m'y conseille le presbytère et là, enfin, ma quête pour la nuit trouve une réponse positive. On me conduit dans un petit dortoir avec douche, l'ensemble est rustique, mais idéal pour le passant que je suis. On m'offre également un ticket repas, et comme j'ai un peu de temps libre devant moi, j'en profite pour donner un coup de balai et de serpillière, ce qui n'est pas du luxe. A la basilique, une messe commence à 18 h, et je découvre la châsse de Jean Marie Vianney. Dans l'assistance beaucoup de gens du voyage à l'entrée de la ville un panneau leur souhaite le bienvenu, et bon pèlerinage.

Cinquième jour. Une petite pluie tombe, le poncho sur le dos, la tête basse, je marche, je marche, pour enfin arriver dans un petit bourg, St Eloi. L'église est ouverte, des toilettes à proximité, je peux peut-être m'arrêter ici, et y dormir. Je vais quand même demander, et on m'envoie chez la personne qui en détient la clef. Elle téléphone au curé qui lui-même en réfère à la mairie. Mme le maire se renseigne et m'informe qu'une dame, qui doit habiter on ne sait trop où, accueille des gens dans ma situation. On devrait m'y conduire en voiture, et en attendant, je me retrouve dans une salle à poireauter, seul. Las d'attendre, d'un coup, je décide de repartir car la nuit commence à pointer le bout de son nez, et je finis par arriver à Pérouge, petite cité médiévale, où les derniers touristes sont quelque peu étonnés de me voir bivouaquer derrière les remparts. Tout proche résonne les rires d'une fête familiale, où l'on m'y invite gentiment à prendre le verre de l'amitié. Aujourd'hui fut une longue étape peut-être dans les 40 km.

Sixième jour. Avant de reprendre la route, je flâne un peu dans les rues empierrées de Pérouges. Ici, une devanture de boulangerie me ramène au Moyen âge, avec, à la fenêtre, une planche qui se rabat et fait office de comptoir. J'y achète un pain complet fourré de fruits secs qui sera idéal pour mon petit déjeuner, sans pour autant être un étouffe-chrétien. Lagnieu, petite ville où je rentre dans un bistrot et commande un demi. Dans la salle, plusieurs habitués du lieu avec qui j'entame une conversation, et qui, du coup, m'offre de trinquer avec eux. Sur mon topo, figure une adresse pour un accueil possible dans le village de St-Sorlin en Bugey. Sitôt arrivé, je vais frapper à l'adresse indiquée, chez Claudia, qui me reçoit à bras ouverts tout en me montrant la salle paroissiale. J'ose même lui confier un peu de couture, mon short, sinon, va avoir de la peine à finir le voyage, et c'est avec plaisir qu'elle se met aussitôt à l'ouvrage, tout en bavardant avec sa sœur et ses deux voisines. Je dois, de mon côté, satisfaire à leur curiosité, ce qui me paraît tout à fait normal, et c'est ainsi que prend fin cette belle journée, faîte de rencontres simples mais sincères, sous le soleil revenu.

Septième jour. Belle et rude grimpette pour quitter St Sorlin, passage par la Chartreuse avec ses 1250m d'altitude, et rien de particulier à Ordonnaz ce dimanche 22 juillet.

Huitième jour. Ce matin, j'ai une pensée particulière pour ma fille, car c'est son anniversaire ce jour, et dès que je pourrai, je lui téléphonerai. Dans un petit hameau, un épicier ambulant me permet de faire quelques emplettes. Deux frères m'invitent à boire un café, puis un maquignon, venu négocier quelques bovins, se joint à nous. Un chemin, ombragé de buis, avec une descente comme j'en avais jamais vu se présente à moi, j'y ai même entaillé une de mes chaussures dans la caillasse, avant d'arriver enfin dans une plaine, nettement plus praticable. Je bivouaque un peu avant Virignin.

Neuvième jour. Passage par Yenne, jolie petite ville avec ses rues piétonnes, et dans une cabine téléphonique, je peux enfin appeler la maison, puis souhaiter l'anniversaire à ma fille. Lors de ma pause-dîner d'une maison toute proche, un facteur en retraite m'apporte de l'eau, puis du vin blanc, et juste avant de reprendre la route, le café. Saint-Maurice-de-Rotherens, mon guide-papier me donne une adresse dans le hameau le Vernet, où je découvre une grande maison encore en chantier, façon monastère. Les portes sont ouvertes, personne. Je décide de m'installer à l'ombre sur la terrasse. Une voiture arrive, un homme s'appuyant sur une béquille en descend et m'accueille comme un vieux copain, ce qui me met, moi, le solitaire, un peu mal à l'aise. Il se prénomme Louis, et connaît beaucoup de choses sur les religions. Je pense que c'est un ancien curé, mais il préfère taire son passé, et comme je ne suis pas venu pour le questionner, l'instant présent nous suffit amplement. Il me montre sa collection de cartes postales, preuve d'une amitié sans frontières. Dans une petite chapelle qu'il a lui-même aménagé, il allume bon nombre de bougies, puis se retire afin de me laisser me recueillir.

10ème jour. Après un bon petit déjeuner, ma note d'hébergement réglée, le tampon de la maison sur ma créanciale, me voilà de nouveau sur la route. C'est reparti pour une nouvelle journée, machinale, mon coup de bâton me donne la cadence, cependant un cri lointain attire mon attention, c'est Louis, tout en haut d'un balcon qui me fait de grands signes d'adieu, touché, je lui réponds avec un brin d’émotion. Longtemps, en chemin, il habitera mes pensées, car désormais, il fait partie de l'histoire du chemin d'Assise, de ma propre histoire. À la Bridoire, j'envoie une carte postale à mon épouse, plus une pour nos voisins, car il y a la fête de notre quartier dimanche prochain. Passage à Attignat. À la sortie d'un bois, une maison apparaît et je surprends un homme coupant des ronces, je lui explique la situation, il réfléchit et finit par me montrer un canapé-lit dans un ancien bâtiment agricole, où les enfants jouent les jours de pluie. Il avait peur que cela ne me convienne pas, mais au contraire, pour moi, c'est équivalent aux 3 étoiles. Cependant, il me recommande d'économiser l'eau car la source qui alimente la maison s'est pratiquement tarie, du fait peut-être de la grande sécheresse. Ce soir, toute la famille doit se rendre à une invitation et, avant de partir m'offre gentiment de la tome de brebis et me souhaite bon courage pour la suite. Cette nuit le matou de la maison vient me tenir compagnie.

11ème jour. Après avoir laissé un petit mot de remerciement sur la table de jardin, je reprends mon bonhomme de chemin. Dans un hameau, je loupe une indication et dois faire demi-tour deux kilomètres plus loin, afin de revenir sur mes pas. Le fléchage est difficile à suivre, et les chemins sont durs dans le massif de la Chartreuse. Je me dois de l'accepter, calmement, un pas après l'autre, on va y arriver. Je dis on: car il y a derrière moi, mon épouse, mes enfants, mes voisins et amis rencontrés sur cette route. Avant d'arriver dans une partie boisée, quelques maisons à l'orée, un couple, sur une terrasse, prend le frais. Je leur résume ma demande et le jardin m'est acquis pour cette nuit-là. Le mari m'offre de partager un verre de rosé avec lui, il est très bavard et très curieux, le vin aidant à délier les langues, la conversation s'éternise. Discrètement son épouse apporte de bonnes choses sur la table, ce sont des restes du midi, me dit-elle, nous avions eu un repas de famille. Résultat des courses, je dois monter mon bivouac au clair de lune avec la lampe électrique entre les dents. C'est ainsi que prend fin cette journée.

12ème jour. Peu de temps après mon départ, mes pas me mènent à St Pierre de Chartreuse, le chemin n'est pas facile, plusieurs petits cols dont celui du Coq qui culmine à 1500 m. Il fait très chaud, et en fin d'après-midi, je me douche sous la cascade d'un torrent, elle est la bienvenue après une telle chaleur. Habituellement, pour la douche dès que possible, je laisse une bouteille en plastique de 2 litres d'eau se réchauffer au soleil. Arrêt à St Hilaire du Touvet.

13ème jour. Ce matin, je longe une falaise avec, de loin en loin, une vue imprenable sur la vallée de l'Isère, ici, une piste de parapente recouverte d'une sorte de moquette en plastique. D'après mon topo-guide, une possibilité s'offre à moi pour descendre dans la vallée, par un funiculaire, mais un problème d'heure de départ, pas avant 10 h, et je décide donc d'entamer la descente à pied. Ne trouvant pas d'indication fiable, je prends le premier chemin qui, hélas, aboutit à un cul-de-sac. Je ne peux faire demi-tour car, je suis sur une espèce d'éboulis et je descends malgré moi en glissade, J'ai fini par traverser les rails après quelques frayeurs pour me retrouver sur le bon chemin, de l'autre côté. Dans un dénivelé de 700 m, les freins chauffent, mais heureusement, mes bâtons me sont d'un grand secours, l'ensemble du corps participe ainsi à l'effort pour économiser pieds et jambes. Une fois arrivée en bas je me trouve dans une vallée, entre le massif de la Chartreuse et la chaîne de Belledonne, que je dois traverser, dans cette vallée, alors le piéton que je suis passé une fois sur, une fois sous, des routes à grande circulation une autoroute une voie de chemin de fer et le fleuve l'Isère, ensuite vient le village de Laval, ou je pense m'arrêter. Une adresse de mon topo-guide, mais personne. Des voisins me disent connaître une famille d'accueil, ils téléphonent de suite, c'est OK, je parcours environ 500 m, là, un homme m'attend sur le bord de la route. Pierre m'accueille dans ce qu'il me semble être un château fort, il y habite avec femme et enfants. La première pièce où l'on pénètre est en travaux, et sa femme y est à l’œuvre. La chambre qui m'est destinée se situe à l'étage avec coin toilette et douche. Là, je m'accorde une pause pour respirer un peu et faire un brin de toilette. Pendant le souper, Pierre, qui travaille dans une grande entreprise Grenobloise, parle longuement de son métier, mais sans grand enthousiasme, car le moral n'y est pas. Il veut faire une formation dans l'hôtellerie, son rêve est d’ouvrir quelque chose dans cette grande demeure.

14ème jour. Le petit déjeuner se prend en famille, Pierre m'accompagne devant la porte extérieure, et me donne ses dernières recommandations, connaissant parfaitement ces passages dans les cols. J'en profite pour faire deux photos devant cette ancienne demeure, pleine de charme. Le petit village disparaît peu à peu derrière la montagne. Le pèlerin aimerait bien s'arrêter un peu, mais l'appel du chemin est le plus fort. Cette fois-ci, les Alpes sont bel et bien là, plus aucune âme qui vit. Un chemin pierreux se dresse devant moi, des nuages viennent lécher la pointe des sapins, l'air y est plus vif et revigorant. Sur un plateau, je suis étonné de voir des vaches blanches avec leurs veaux, brouter paisiblement, à travers de grosses pierres, une herbe verte et grasse. Vers 13h, je franchis le col du Pas-de-la-Coche, à 1989 m d'altitude. Une fois passé, il faut redescendre. Au loin, un berger conduit un gros troupeau de moutons et de chèvres. La descente se poursuit pour arriver à Rivier-d'Allemont, où, en ce jour de dimanche, la fête annuelle bat son plein. Je m'assois à côté d'un vieil homme, il s'agit de Jean, le doyen du village, qui est l'aîné d'une famille de 10 enfants. Le destin sans doute, sa femme est aussi l'aînée de 10 enfants. Il est la mémoire vivante d'une époque révolue, si proche de nous pourtant, et le bon narrateur peut facilement vous entraîner avec ses histoires dans ses montagnes, sa jeunesse, ses guerres etc. Il me présente à ses amis, ses voisins comme étant le passant, car autrefois, au temps où l'homme voyageait encore à pied, le village était un lieu de passage entre la France et l'Italie. Il m'offre ensuite boissons et gâteaux, lui ne prenant rien. Après avoir quitté cette fête où tout le monde semble être un peu de la même famille, celle de Jean, je dois trouver un coin pour dormir. Devant la Mairie, un grand hall, je m'y installe derrière un bar, et j'y attends le sommeil. Des jeunes arrivent pour jouer au baby-foot, mais d'un coup, partent en courant. Peut-être se sont-ils aperçus de ma présence, tout à coup, au-dessus du bar, des yeux me scrutent, alertés par les enfants de la présence éventuelle d'un cadavre, les parents sont venus en nombre. Je leur explique la situation, et les gens s'en vont, un peu dépités.

15ème jour. Départ très tôt aujourd'hui, je n'ai pas d'autre choix, il n'y a que la route pour grimper au Col de la Croix de Fer. Je croise en route des cyclistes, à toute allure qui en descendent, d'autres qui y montent. Furtive les premières marmottes apparaissent. Il m'a fallu en donner des coups de bâton, pour enfin arriver au Col à 12h pétantes. Une étape importante pour moi, que j'immortalise en demandant à des touristes de me prendre en photo devant la fameuse Croix de Fer. À la télé, lors du tour de France j'avais vu ce passage mythique mais je savais qu'un jour, j'y parviendrai moi-même à pied. Le soleil réchauffe ma carcasse, mes poumons s'emplissent de cet air frais, je suis heureux, avec une pointe de fierté. Pour la suite, le fléchage m'indique un petit sentier. Un peu plus bas, je pique-nique à l'abri du vent, l'eau claire d'un ruisseau m'incite aussi à un brin de toilette. Le chemin chemine pour arriver à Saint Sorlin-Darves, belle ville touristique avec ses chalets cossus. J'y attends l'ouverture de l'épicerie puis visite de l'église Saint Saturnin, mais ce n'est pas ici que je vais trouver l'hospitalité. Je marche, je marche et la fatigue commence à se faire sentir, je suis aux aguets. Puis, au détour d'un chemin, sur un surplomb, une petite cabane en bois, un ancien refuge de bergers aujourd'hui à l'abandon. Plus de porte, mais je m'y installe tout de même, toujours plus confortable que mon léger bivouac, car ici, à cette altitude, les nuits sont fraîches.

16ème jour. Sur ma route, St Jean de Maurienne. En fin d'après-midi, le soleil commence à baisser, arrivé à St Julien Mont Denis, au milieu de ce village, un lavoir couvert. J'y pose mon sac afin de faire une pause, et pourquoi ne pas y passer la nuit. Tout proche, un homme bricole autour de sa maison, je vais le saluer, il s'agit de Bruno et, dans la conversation, il me propose un endroit avec matelas mousse et prendre une douche. L'usage du téléphone pour joindre ma famille. Le soir même, il doit se rendre à une invitation, et me laisse seul avec des fruits, du pain et du vin. Dommage j'aurais aimé tenir la conversation à ce plombier.

17ème jour. St Michel de Maurienne, puis, vers midi Orelle où je sonne à la cure, Monsieur le curé ne peut, hélas, me recevoir, occupé à festoyer avec la famille du défunt qui va être enterré cet après-midi. Je m'obstine à poursuivre mon périple malgré une erreur de parcours. Devant moi, un chemin rocailleux avec une pente abrupte et dangereuse que je dois franchir pour rejoindre la route en contrebas, tout prés de Modane. Avant d'entrer en ville, des jeunes, dans un petit local, me donnent de l'eau fraîche et une bière. Ils refusent, mais je laisse un billet dans leur caisse, et l'un d'eux, avec humour, me propose de revenir quand je le veux. Après consultation du topo-guide, je dois maintenant me diriger en direction du Bourget, petit village proche de Modane. Effectivement, je retrouve les petits insignes du Tau et de la colombe. En arrivant au Bourget, je quémande un hébergement auprès du premier habitant que je croise, tout content, il m'emmène chez sa sœur qui fait chambre d'hôte, mais portes closes m'obligent à aller voir plus loin. M'apprêtant à quitter le village, tout à coup, une femme arrive en courant. Essoufflée par sa course, elle reprend son souffle appuyée contre une voiture, et je lui explique que les chambres d'hôtes ne sont pas vraiment mon truc, mais je sens bien que je ne peux refuser car c'est une invitation. Micheline me conduit donc dans sa maison, avec plusieurs chambres et une cuisine commune au centre. Pour le souper, elle m'offre une salade composée, et tout en discutant, Micheline découvre l'existence du tracé du chemin d'Assise qui passe juste devant son logis. Dans la soirée d'autres locataires arrivent, mais n'apprécient pas de partager le coin cuisine avec moi.


18ème jour. Du Bourget à Bramans, cette portion est encore plate, ensuite une longue montée en lacets. C'est par la montée de la Crosta que seraient passé Hannibal et ses éléphants. Le passage des Alpes par Hannibal est une étape majeure de la marche vers l’Italie de l’armée d’Hannibal Barca, réalisée à la fin de l’année 218 av. J.-C., au début de la deuxième guerre punique déclenchée contre Rome. La voie terrestre par le sud de la Gaule est la seule possible pour conduire plusieurs dizaines de milliers d'hommes d'Espagne en Italie. C'est la figure de son chef de guerre Hannibal et la présence des éléphants qui lui donnent un relief unique et ont contribué à sa célébrité. Ici, je suis sur un G.R. (chemin de Grande Randonnée) qui va me conduire au Col du Petit Mont-Cenis. Mètre après mètre, pierre après pierre, racine après racine, l'ascension se fait lentement mais sûrement, quand, enfin, le sentier débouche sur un immense plateau, je viens d'atteindre le Col. Le dépaysement y est total, un vent froid me surprend, des nuages arrivent à toute allure en rase-mottes, et, ni une, ni deux, j'enfile en vitesse une chemise. Sur ce plateau, l'activité agricole bat son plein, des agriculteurs, au loin, fauchent le foin avant de le rentrer une fois sec. Le refuge dit du Petit Mont-Cenis se situe à 2110m d'altitude et est tenu par une famille du coin. Il est complet lorsque j'arrive à l'improviste, mais le patron du lieu me propose un matelas déroulé dans la salle à manger après le souper. Profitant de la chaleur des derniers rayons de soleil, je m'installe sur la terrasse pour y prendre une bière, ses lieux respirent la paix. Venant d'un bâtiment voisin, des chants parviennent à mes oreilles, lorsque j'y arrive, hélas trop tard, la messe est finie. En revenant au gîte, une jeune femme me rejoint et me propose de prendre le souper en compagnie de son groupe. Ils sont environ 14 jeunes, filles et garçons, faisant une retraite, encadrée par un prêtre, Don Andréa, et elle-même, Giovanna, venant de Gênes, Italie. Ensemble, nous formons une belle tablée au refuge, Don Andréa a une certaine ressemblance avec Coluche. Le simple fait de se retrouver avec des gens différents, venus d'ailleurs, que l'on ne connaît pas, et que l'on ne reverra sans doute jamais, créé une atmosphère festive d'échanges directs, amicaux et fraternels. À la fin du repas, un verre de Génépi (plantes aromatiques des Alpes) nous est offert gracieusement par le patron. Les jeunes n'aiment pas trop cet alcool fort, par contre j'en connais deux, il faut dire que les verres sont petits. En fin de soirée, une place m'est trouvée, en fin de compte dans le dortoir des garçons.

19ème jour. Après une bonne nuit réparatrice, nous voilà tous réunis autour du petit déjeuner, et au moment de sortir de la salle à manger, Giovanna me tend la médaille qu'elle portait autour du cou. Je sais à cet instant que je ne peux la refuser, celle-ci représente Saint-Benoît, m'explique-t-elle rapidement sans que je comprenne toute la signification de son geste. Une fois à l'extérieur, nous remercions le seigneur pour cette nouvelle journée qui commence par des chants et des prières. Puis c'est pour moi l'instant du départ, de loin en loin nos échanges de grands signes se perdent de vue peu à peu. Sur le bord du chemin, une machine à traire autonome, des marmottes gambadent de trou en trou, de belles vaches laitières avec leurs robes rousses complètent ce paysage de carte postale alpine. Tout proche, les eaux si bleues et si profondes du lac artificiel du Mont-Cenis.

 15ème jour devant la fameuse Croix de Fer  (2064 m)
15ème jour devant la fameuse Croix de Fer (2064 m)

Une grande descente me mène au poste-frontière abandonné, je suis en Italie, à Moncénisio, un petit restaurant me souhaite la bienvenue. Dans mon sac, une enveloppe avec la mention «ouvrir à la première ville italienne». Je satisfais ma curiosité en la décachetant, et y trouve un mot d'encouragement avec un billet joint. À Novalesa, j'envoie une carte postale à mon épouse, et une également pour remercier Marie-Clothilde et Louis. Sur mon topo-guide, il me faut faire un détour pour rejoindre une abbaye, je m'y rends. À l'entrée, une femme polyglotte me reçoit et me conduit dans une boutique de produits monastiques où elle explique ma situation aux moines présents. L'un d'eux téléphone, et quelques instants plus tard, un autre moine, parlant français, s'occupe de mon cas. Je dois enfiler une chemise à manches longues et un pantalon selon l'usage en vigueur dans ces lieux, et il me conduit ensuite dans ce qui sera ma chambre, me donnant tout un tas de consignes à respecter. Ici, la vie monastique est rythmée par le son de la cloche, et après avoir soupé en silence, la corvée de vaisselle où, là, nous pouvons échanger nos impressions. Deux laïcs font ici une retraite, des férus de religion, la journée se termine avec les complies.

20ème jour. 5h45, mon sac est prêt, moi aussi comme convenu, je dois quitter l'abbaye après les laudes. Laudes auxquelles j'assiste, et où personne ne manque, moines et laïques, même si tout ce petit monde n'est pas trop bien réveillé à cette heure matinale. Au bout de longs couloirs la lourde porte se referme derrière moi, sur le pas je respire une grande bouffée d'air frais, et me voilà reparti pour une nouvelle étape. Bien sûr, j'aurais pu prendre le petit déjeuner, puis assister à la messe, et enfin partir, mais non il me tardait de quitter ce lieu. Passage à Susa, pour finir la journée à Villars-Foccéchiareo, où je repère une petite chapelle avec un coin de verdure, et renseignement pris à la maison voisine, je peux établir mon campement sur la pelouse. Une fois installé, le voisin m'apporte gentiment eau et vin, et j'étais déjà assoupi quand une voiture s'arrête, le conducteur m'a laissé un sac de prunes.

21ème jour. Aujourd'hui dimanche, sur mon passage Vaire où les paroissiens se rendent à la messe de 9h00, je les suis. Vers 12h00, à Sacra di Michele, dans un resto je déguste une bonne pasta au fromage. Cet après-midi le fléchage est difficile à suivre. À Frana, au guichet d'un distributeur de billets, un homme me renseigne. Plus loin, il me klaxonne et m'invite à monter dans sa voiture, je n'avais rien compris et du coup, il me dépose au bon embranchement. La pluie tombe sur cette zone résidentielle où tout est fermé, même la chapelle. Je dois alors continuer sous ce mauvais temps, pour trouver enfin un terrain de jeux ou m'arrêter.

22ème jour. Le voyage continue dans une plaine fertile de terre rouge, plantée de maïs. À None j'achète une carte téléphonique, car la mienne ne fonctionne plus dans les cabines italiennes. Retour dans les maïs, je marche, au détour des chemins, les champs se succèdent avec leurs canaux d'irrigation, interminables, mais toujours rien en vue pour mon hébergement. Cependant une adresse sur mon topo, une dame en grande tenue de soirée me regarde de haut et m'annonce, imperturbable, 60 euros la nuitée. Dépité, je reprends alors ma marche le long d'une route, mais la nuit arrive à grands pas et il me faut absolument trouver de quoi passer la nuit et me reposer. Enfin, j’aperçois un petit coin en contrebas de la route. Les moustiques m'y attaquent, peut-être est-ce dù à mon odeur de transpiration. Je me lave en vitesse, mais rien n'y fait. Un chien qui a dû me sentir aboie pas très loin, avec les moustiques qui m'agressent cela devient impossible ici, à 2 heures du matin, je plie mes bagages, et repars avec ma lampe électrique pour signaler ma présence aux automobilistes. Deux ou trois km plus loin, sur la gauche, un bâtiment agricole à l'abandon. Là, je peux squatter. Enfin plus de moustiques plus de chiens, j'ai mal dormi.

23ème jour. Quand je bivouaque en pleine nature, le matin, je plie mon campement et pars de suite pour une première étape d'environ deux heures, puis, je m'arrête pour prendre le petit déjeuner. C'est à cet instant l'occasion de me reposer les pieds, quitter mes chaussures, rester pieds nus tout le temps de la pause, avant de repartir avec des chaussettes sèches. Ceci est ma technique pour ne pas avoir d'ampoules, et ça marche. Cet après-midi-là, après avoir pas mal cheminé, j'aperçois une grande demeure en rase campagne. Je m'y arrête afin de m'informer sur l'itinéraire à suivre, et j'y fais la rencontre de deux familles habitant cette maison, qui m'offrent de me désaltérer ainsi que de prendre une vraie douche. Je quitte avec regret ces deux familles pour arriver bientôt à Montreu-Roero où Don Adriano m'attend. L’accueil est sobre, quelques boîtes de conserve sont prévues pour le passant, mais par contre, question couchage, un bon matelas m'attend où je m'enfonce après deux nuits difficiles. Ici je ressens que j'ai changé de région.

24ème jour. Ce matin, petit-déjeuner avec de bons croissants sur la terrasse d'un café, réchauffé par le soleil baignant la façade de l'église d'un ocre lumineux. La fatigue accumulée, aujourd'hui, se fait sentir, mais le moral reste bon, et ce retour dans ce monde rural, me semble de bon augure. Tout proche, le marché s'anime peu à peu, les forains déballent leurs marchandises devant le regard impatient des badauds. Parmi eux, Philippo, épicier ambulant de son état, qui a travaillé à Paris et qui est vraiment heureux de renouer avec ce qui lui rappelle sa jeunesse, la langue française. Avec sa femme, ils veulent me donner plein de choses, mais je ne peux, à regret, trop me charger en vue des prochaines difficultés, et je consomme donc quelques fruits directement sur place. Si vos pas vous amènent à Montreu-Roero le jour du marché, ne ratez surtout pas l'étalage «Fromaggiaio» de la Maison Philippo. Le chemin serpente dans une région de collines plantées de vergers et de vignes, qui me rappelle fortement le Beaujolais. À la croisée des chemins, une affiche avec photo annonce le décès d'une habitante du coin. J'avais déjà remarqué auparavant ce type d'affiche sans y prêter plus d'attention que ça, pensant à ce moment que cela était un affichage électoral. À Neive, deux imposantes églises, l'une catholique, l'autre orthodoxe de Macédoine. Plus tard, je rencontre un couple de personnes âgées dont la femme connaît la France. Ils m'invitent chez eux pour y déguster le vin du pays, produit issu de leur propre récolte familiale, et dont ils ne sont pas peu fiers. Ce soir, je vais camper par ici, dans un petit espace public repéré plus tôt.

25ème jour. Arrivée à Canelli où Don Thomas m'accueille. Il n'a pas d'hébergement prévu pour moi, hésite, puis me montre à tout hasard la salle de catéchisme. À l'extérieur, un robinet d'eau froide et des toilettes, ce qui me convient parfaitement. Pour la question du souper, pas de souci, une supérette se trouve dans la rue juste en face. Don Thomas célèbre une messe à 18 h, à laquelle il m'a convié, et durant laquelle il évoque mon passage. Dans l'assistance, principalement des femmes qui, au moment du chant de sortie, se regroupent pour former un chœur à plusieurs voies, instant magique qui me laisse envoûté.

26ème jour. Depuis quelque temps déjà, un mal au pied gauche, dû au fait que mes doigts de pieds arrivent trop au bout de ma chaussure, devient plus que gênant. J'explique mon problème à une femme peignant des fenêtres, et elle me dirige vers son père, un brave retraité, qui avant toute chose, m'invite à trinquer avec du vin blanc de son cru. À l'aide des outils qu'il met gentiment à ma disposition, j'étire un peu le cuir du bout de ma chaussure, et lime la semelle intérieure. Cette réparation de fortune devrait améliorer la situation. À Acqui-Terme, grosse bourgade dans le centre-ville une succession de bassin à débordement amène une certaine fraîcheur, les bancs publics sont pris d'assaut. J'en profite pour envoyer quelques cartes postales et les cabines téléphoniques me permettent de donner des nouvelles. Un buraliste me donne un plan publicitaire de la ville, laisse ses clients pour me montrer dans la rue la bonne direction à prendre. Je dois encore parcourir 6km avant d'atteindre Grognado. Croisant un automobiliste, je lui montre une adresse sur mon topo. Il passe un coup de fil et, quelques minutes plus tard, un triporteur à 3 roues pétaradant surgit, un jeune homme en descend, et me montre un trousseau de clefs. Il vient m'ouvrir une salle dans la base de sport. Il y a des jours comme ça !!

27ème jour. Dans un hameau, à une croisée de route, accoudée à sa fenêtre une femme m'interpelle, « acqua » me dit-elle, ce que je comprends, c'est que cette personne souhaite que le pèlerin que je suis s'arrête un moment devant sa maison. Avec son mari ils m'offrent de bonnes choses, la voisine qui passe par là veut également prendre part à l'événement. Au-delà des gâteaux, pêche, café, ces gens s'inscrivent dans une histoire, mon histoire, et je me sens investi d'une tâche, porteur d'espoir, d’espérance. La marche devient salvatrice. En passant par Toléto, vers 14 heures une grande famille franco-italienne m'invite au dessert, et me laisse un mot d'encouragement sur mon carnet de voyage. Après avoir cheminé en pleine campagne, enfin un village Olbicella. Renseignements pris, pas de commerces ici. Cependant une fête champêtre, où je me rends, le comité des fêtes m’accueille comme un invité d'honneur, chacun veut m'apporter son aide, l'un trouve une douche qui fonctionne, un autre, sans avoir à attendre mon tour, m'apporte mon plateau-repas avec du sanglier au menu. Devant mon assiette je me trouve un peu ému. Sur une nappe en papier je griffonne quelques mots « grazie Pellegrino Raymond Francia Assisi », ce qui leur a beaucoup plu.

28ème jour. Ce dimanche, rien de particulier, un dimanche ordinaire. Juste que le chemin continue son périple pour passer à Campo Ligure.

29ème jour. La Ligurie est une région de moyenne montagne, et ici le chemin d'Assise emprunte l'Alta-via, un sentier de crêtes qui contourne Gênes. Une fois arrivé au barrage lago Bruno, le topo-guide me met en garde, plus de ravitaillement d'eau possible avant la fin de l'étape. Au barrage, un panneau défense d'entrer, malgré tout je m'y hasarde quand même. Dans un bureau, j'entrevois un jeune homme que je salue de la main, de suite, il vient à ma rencontre, que va-t-il se passer? Il est 11 heures 30, et il veut absolument me garder pour le midi, tout heureux d'avoir un invité surprise afin de partager toutes les bonnes choses que sa femme lui avait préparées, plus la pasta faite par ses soins. Michel est gardien de 3 barrages, et reste seul au milieu de nulle part pendant une semaine entière. Ici c'est son logement de fonction, en bonne place un poêle à bois deux marmites, le même qu'il y avait chez ma grand-mère, il me fait découvrir aussi sa passion pour le travail du bois. Le temps passe bien vite, trop vite et Michel doit retourner à son travail, moi à mon chemin. Pas n'importe lequel, une montée terrible sous la fournaise m'amène à un sommet venteux, splendide panorama, tout en bas les barrages, et leur gardien, Michel, je pense à lui. Un chemin de pierres disjointes où à chaque pas je dois scruter laquelle, va accueillir mon pied. Au Passo dei Giovi, je négocie le prix d'un refuge, et donc pour ce soir un peu de confort. À peine installé, arrive un routard, Emmanuel, en solo, depuis la Bretagne il a fait un périple pas possible et pense rejoindre Rome.

30ème jour. Emmanuel me propose de l'accompagner dans une ville hors itinéraire, distante de 2 km pour y faire quelques courses. Je n'avais pas prévu cette possibilité et accepte, mais l'aller-retour est bien trop long à mon goût. Il travaille pour sa part dans l'enseignement et est aussi amateur de photos, également grand marcheur à ses heures. Nous arrivons dans l'après-midi à un endroit surplombant la ville de Gênes, et l'on distingue à l'horizon la Mer Ligure dans le Golfo di Genova. Vers 16 heures, à Creto, après avoir trinqué autour d'une bonne bière, on décide de se séparer, lui veut continuer, mais la fatigue a eu raison de moi, et je préfère ne pas lui emboîter le pas. Un camping tout proche, promesse d'un repos bien mérité me tend les bras, ici, c’est l'esprit familial où tu peux te restaurer, notamment avec la pasta à volonté, pour quelques euros. D'ailleurs, j'en ai tellement mangé que j'ai un peu mal au ventre, mais je suis heureux dans ce lieu, il y a de l'animation autour de la buvette et du bruit, mais tout ça n'est pas bien grave, la fatigue et le sommeil auront bien le dernier mot. En fin de compte, j'ai pris la bonne décision de m'arrêter ici. Emmanuel a mené la marche à un rythme un cran plus vite que moi, ce qui m'a obligé à forcer l'allure, Assise et encore loin, et il me faut donc ménager la monture, «trois fois vingt ans obligent».

31ème jour. Vers 12h30, arrivée au Passo della Scoffera. L'épicerie locale y est encore ouverte, mes provisions faîtes, je décide de m'arrêter ici, je suis complètement H.S… Il y a une possibilité d'hébergement paroissial avec coin cuisine, dortoir, douche, le grand luxe quoi, et rien de tel pour un bon repos réparateur. De plus une cabine téléphonique me permet d'appeler Marie-Thérèse, mon épouse, puis ma fille et mon frère. Dans l'église du village, une affiche attire mon attention. Je la décortique et elle m'apprend qu'à 20h30, en cette date du 15 août, une procession a lieu dans un hameau tout proche. Le soir venu, j'accoste un homme qui semble s'y rendre. Anglo maîtrise bien notre langue, il me présente son épouse, ses amis. Nous voilà maintenant une trentaine de personnes, accompagnées d'un prêtre, avec nos lumignons à la main, formons cette procession qui, s'ébranle lentement et finit par arriver dans une petite chapelle dédiée à St Roch. Les chants et les prières finis, nous sommes conviés au verre de l'amitié, avec en prime de succulentes pâtisseries concoctées par les habitants.

32ème jour. La nuit commence à tomber sur un village nommé Cabanne. Une salle paroissiale s'offre à moi, d'après mon topo-guide. Le prêtre est absent et ses voisins ne savent pas quand il rentrera. Je poireaute un moment. À côté, des tentes viennent d'être montées pour un futur repas de fête, ni une, ni deux, je décide d'installer mon bivouac entre deux tables. Une demi-heure s'écoule quand tout à coup, le bruit caractéristique du starter des néons qui démarre, la lumière jaillit. Un groupe venu en inspection voir si tout est en ordre, bavarde quelques instants, le vagabond dans son coin ne bronche pas, quelques instants plus tard, à mon grand soulagement, la lumière s'éteint. Une douce chaleur commence à envahir mon sac de couchage. Le prêtre, informé de ma présence par ses voisins, vient aux nouvelles. Je ne tiens pas à déménager maintenant que toutes mes affaires sont déballées. Après quelques mots échangés et les salutations d'usage, il prend congé.

33ème jour. Don Wil, le prêtre, prépare le café du matin. Il est originaire d'Afrique, surbooké, et peut-être devrait-il déléguer un peu de ses responsabilités, notamment pour la clef de la salle paroissiale. Dans ce village passe un cours d'eau, qui apporte une rosée matinale importante, du coup, comme j'étais bien à l'abri sous la tente du comité des Fêtes de Cabanne. 10 heures, le soleil donne de tous ses rayons. Une zone humide, traversée par plusieurs petits ruisseaux m'incite à y faire une longue pause, et dans ce merveilleux endroit, juste armé de ma bouteille plastique, je me douche avec cette eau fraîche et ravigotante. Le midi, repas dans un refuge non gardé, des aliments de secours non périssables tels que des pâtes, riz, huile, sel, café, etc, sont à disposition. Les souris qui voudraient faire un festin sont déboutées, le tout est protégé dans un garde-manger grillagé. Il y a aussi du bois pour le poêle à deux marmites, à l'extérieur coule une eau de source. J'y aurai bien passé la nuit, mais il est encore trop tôt. Avant de partir j'accroche sous une pointe un petit mot (que le seigneur bénisse cette maison, et ceux qui l'ont construite). Au Passo del Bocco, un refuge commercial, hélas complet, un groupe de personnes handicapées a tout réservé, mais de la place est encore disponible pour le souper. Question bivouac, le terrain de foot est le seul et unique endroit plat du coin. Au refuge arrive un groupe de randonneurs italiens, avec qui je sympathise. Quelques bonnes bières partagées, plus loin arrivent le souper, notre tablée est joyeuse et bruyante. Il n'est pas loin de minuit quand l'addition nous est présentée, le plus âgé prend les choses en main et, gentiment, ils m'offrent mon repas. Ti augurano, buon viaggio: Ermanno, Giovanni1, Giovanni 2, Stefano, Giorgio. Tout ce beau monde doit monter sa tente, aux claires de lune à côté de la mienne, mais la plupart d'entre eux dorment carrément à la belle étoile.

34ème jour. Pour le repas de midi, j'ai encore de quoi tenir le coup, mais le souper risque d'être un peu plus délicat, comme je ne veux plus dévier de mon itinéraire, même pour faire des provisions. Afin de pallier cet état, je décide de mendier un bout de pain. À Passo di Centocroci, dans une maison de retraite, je n'ai aucune peine pour rallier à ma cause le prêtre qui me reçoit. Un abri possible dans une chapelle m'est signalé sur le topo. IL fait encore très chaud lorsque j'y arrive. Les promeneurs du samedi viennent ici respirer le grand air, et il y en a, des éoliennes à proximité tournent bien avec leurs gigantesques pales. Tous les promeneurs sont repartis quand arrive une voiture, le conducteur m'explique qu'il passe la journée avec son père et doit le ramener le soir même dans sa maison de retraite. Le vieil homme évoque sa jeunesse, je sens bien que sa mémoire, parfois, lui fait défaut, mais je suis là pour l'écouter. Juste avant de repartir, le fils me donne le restant de leur pique-nique de midi. Seul, tel le Petit Prince, sur ma montagne j’active mon réchaud à bois en contemplant un coucher de soleil, cette nuit les éoliennes vont bercer le rêveur.

35ème jour. Au départ de mon logis d'une nuit, ce dimanche 19 août, une montée à découvert m'emmène jusqu'à un sommet où repose le mémorial d'un aviateur qui s'est tué ici par temps de brouillard. Tout en bas la chapelle est si minuscule même les éoliennes ressemblent à des jouets. Puis le matin se passe dans des sous-bois, si bien qu'en arrivant dans un village je m'inquiète. Sur les feuilles de mon topo, des habitants localisent mon point de chute. Je suis à Adelano, il est 11 heures tout va bien. Un couple Teresa et Carlo veulent me garder à dîner, la tentation est forte, … c'est oui. Teresa s'est mise en quatre pour cuisiner un véritable festin, elle a peur que je manque de quelque chose. Carlo a travaillé à une époque en France, la communication en est grandement facilitée. Dans ce village toutes les maisons sont imbriquées les unes dans les autres, et leurs habitants se côtoient familièrement. Marie-Thérèse peut me rappeler sur un téléphone fixe des voisins, il s'ensuivit un long échange de nouvelles. Sandwiches, fruit pour la route me sont offerts avant de partir. Je demande à un jeune de nous prendre tous trois en photo Teresa, un peu complexée, mais sur incitation de son mari, accepte à contrecœur. Après quelques encablures, nouveau signe d'adieu, Teresa s'est retournée, j'ai la conviction qu'elle pleure. À quelques kilomètres plus loin, vit un moine franciscain, ce grand gaillard m'accueille poliment avec eau fraîche et petits gâteaux, mais pour l'hébergement il prétend que sa maison est fissurée depuis le dernier tremblement de terre. Il ne souhaite pas non plus me voir bivouaquer aux alentours, et me recommande juste d'aller voir plus loin. (Ne rien exiger) C'est bien stipulé dans ma créanciale, une heure plus tard en contournant une maison, un homme m'interpelle, ''acqua'' me dit-il, et sans rien dire prend un grand couteau, coupe en deux un gros fromage, le pain, chope une bouteille de vin sur une étagère et en un clin d’œil, met le tout dans un sac plastique qu'il me tend. D'après lui, je peux bivouaquer sans problème sur le terrain tout proche d'une station de ski été-hiver. Un endroit un peu à l'écart, où je commence mon déballage, mais je sens bien qu’au loin, on m'observe, quand tout à coup deux hommes surgissent dans mon dos non, non, pas possible interdit. Tranquillement, je remballe mes cliques et mes claques, le plus âgé à un moment comprend ma condition de Pellegrino, alors pour tenter de me retenir, il se lance dans un tas d'explications confuses. Mon sac bouclé je repars. Le Pellegrino d'Assisi n'a pas de signes extérieurs d'appartenance, il peut être considéré comme un vagabond, SDF etc. Tout le paradoxe est là. Après cette montée d'adrénaline, je marche d'un bon pas pour arriver à la nuit tombante devant une minuscule chapelle, qui accepte le passant.

36ème jour. Cette journée de marche est particulièrement dédiée à un jeune voisin de mon frère victime d'un grave accident du travail, une carte postale matérialisera ce jour-ci. Longue pérégrination sous un soleil de plomb lors du passage de la Ligurie à la Toscane, la Ligurie région pauvre mais riche de cœur. Traversée par le fleuve Magra, la ville d'Aulla se trouve en bas d'une colline. Accueil chaleureux à la parrochia, et en signe de bienvenue, l'on m'apporte des boissons fraîches et un gros gâteau. Une véritable fringale s'empare de moi, et une tranche, puis deux, puis trois sont englouties en moins de deux, mon ventre criait famine. Une messe à 18 h à laquelle le Pellegrino est convié. Ici passe-la via Francigena, chemin de Canterbury à Rome, une Anglaise au visage brûlé par le soleil est elle-même partie de Londres. D'autres pèlerins empruntant ce même itinéraire arrivent dans la soirée.

37ème jour. Avant de quitter La Parrocchia, le prêtre, très dynamique offre le café à tous ceux qui passent par là. L'entrée en Toscane, et l'abandon du chemin Alta-Via se traduit par des passages dans des villages avec boulangerie, épicerie, et l'une d'elles me permet de faire quelques provisions. À l'extérieur, une terrasse aménagée pour les clients est idéale pour se restaurer. Ce soir, dodo à Mozone dans une salle paroissiale. Dans mon topo-guide, il ne reste plus guère de pages, Assise se rapproche donc à grands pas.

38ème jour. À Vagli di Sotto, dans cette petite ville, un épicier ambulant klaxonne de maison en maison il est 12 heures on peut dire que c'est l'homme qui tombe à pic, avec mon sac de victuailles je vais, m'installer sur une murette de l'église toute proche. Un homme en sort avec des pinceaux à la main j'ai l'impression qu'il veut que je reste immobile, puis je vais voir à l'intérieur il peint une fresque « le baptême de Jésus » J'ai servi de modèle pour finir l'épaule de Jésus...Cet homme est un grand passionné, il me montre des catalogues vitrines, des musées de Lyon, peintures et icônes religieuses. Plus tard dans l'après-midi, je loupe le camping, faire demi-tour? Comme je ne suis pas non plus certain du résultat, le mieux est donc de continuer, et dans une forêt en fort dénivelé, j'active le pas, car la nuit arrive. Quand enfin sorti des bois, apparaît une propriété maraîchère close de grillages, car les sangliers sont nombreux dans ces régions. Je décide donc de squatter ici, je n'ai plus d'eau mais quelques pommes vertes me désaltèrent un peu. Ce soir, point de festin.

39ème jour. De bon matin, le long d'une route est stationné un petit camping-car immatriculé à Paris. Surpris de voir un Français à pied dans ces contrées, un couple avec un enfant veule tout savoir de mon périple. Tout en bavardant le petit déjeuner est pris en leur compagnie puis une photo avant que nous nous séparions. Le chemin est difficile, une erreur, où le balisage défectueux fait que je me retrouve dans un village à l'écart de ma route. Sur un chantier, un maçon m'indique une personne qui parle ma langue. Le monsieur avec son voisin décortique mon topo-guide, le verdict tombe je m'en suis bien trop éloigné. Tous deux décident de me reconduire en voiture à un carrefour afin de me remettre sur les rails. Vergemoli, village typique, un habitant téléphone pour moi, quelques rues plus loin, un jeune homme m'attend, Riccardo, c'est lui, qui est chargé de recevoir les pèlerins à la salle paroissiale. Dans la soirée, il m'apporte une assiette garnie préparée par son épouse.

40ème jour. Dans cette région, de belles sources d'eau fraîche incitent à faire une pause, et ce serait un péché de ne pas s'y arrêter. Encore des difficultés avec l'itinéraire si bien que je me retrouve dans un village où une épicerie bien achalandée me permet de positiver. Mon déballage devant l'épicerie attire la curiosité, un monsieur connaît une dame qui…Effectivement une dame arrive, son petit-fils travaille à Beaune. Pour rester dans la bonne direction je dois suivre une route à grande circulation, dans une station-service une jeune femme me fait un croquis pour rejoindre la petite ville de Cardoso, elle-même y habite. Une fois arrivée à destination, dans un bistrot, tout le monde se mobilise pour me trouver le refuge. Toute leur investigation ne donnant rien, je m'apprêtais à bivouaquer sur le parvis de l'église, quand tout à coup arrive une femme avec quelques victuailles et la clé de la salle paroissiale. Je dois lui laisser ma carte d'identité, que je récupérerai demain matin en laissant la clé au bistrot.

41ème jour. Mozzano, ce soir, arrêt à la Miséricorde, établissement pour personnes âgées. La directrice, française d'origine, très dynamique me donne gentiment les consignes en me conduisant dans le logement pour les gens de passage.

À peine installé, elle revient avec un homme qui se prénomme Gérard. Le premier pèlerin d'Assise que je rencontre. Il était pédiatre, aujourd'hui à la retraite et habite Mâcon. Le souper est pris dans le réfectoire de l'établissement où je profite de l'occasion pour faire plus ample connaissance avec mon nouvel ami.

42ème jour. Après avoir effectué quelques courses un orage sévit lors de notre départ, et nous bloque sous un pont romain. ''Ponte Della Maddallena'', aussi appelé Pont du Diable, avec ses 38 m, un des plus longs en arc. « Le Pont du Diable est un terme désignant plusieurs dizaines d'anciens ponts qui, dans le folklore local, auraient été construits par le Diable lui-même, ou contre ses désirs. On les trouve principalement en Europe. Généralement des ponts en arc datant de l'époque médiévale, et représentent souvent une réussite technologique significative. » Pour arriver à Petrognano, nous avons tous deux bien marché. Accueilli à la Fraternité Giovanni, ici on popote nous-mêmes des spaghettis agrémentés de saucisson de sanglier.

43ème jour. Montécarlo, à la terrasse d'un bistrot longue pause bien mérité il fait beau temps les rues piétonnes sont cartes postales, elle incite à la flânerie. Chemin faisant, je confie à Gérard mes soucis, notamment à propos de mes enfants. Quand à lui, il est veuf, son épouse décédée accidentellement. Comme l'on arrive devant l'établissement où il a réservé pour la nuitée, je décide de continuer et arrive à Massarella, suite aux renseignements pris au bistrot local, le terrai de sport ira pour la nuit. Ici, personne ne semble connaître le chemin d'Assise, malgré une indication en bonne et due place juste à côté, et j'explique donc tant bien que mal ce pèlerinage aux clients de l'établissement.

44ème jour. Au réveil, tout est humide, et je décide de partir de suite pour arriver à Fucecchio. Une femme me guide pour trouver le monastère Clarisse. Je dois mettre mon créancial dans un tambour afin que la sœur de l'autre côté y appose le tampon. Je fais sécher mes affaires sur les murets de la ville, et laisse un papier sous une pierre à l'intention de Gérard qui devrait certainement passer par ici. A San-Minioto Basso, je pique-nique devant une église moderne quand soudain, mon compagnon de marche arrive, il a bien trouvé mon message. Le soir venu, nous décidons tous deux de prendre pension complète au monastère franciscain de Miniato-Alto.

45ème jour. Chemin faisant, rencontre d'Édouard pèlerins français, en compagnie de son âne, pour eux c'est le retour à la maison après avoir fait le chemin de Rome avec femme et enfants.À Gambassi Terme où nous nous goinfrons de lasagnes accompagnées d'une bière. À l'aide du portable de mon ami, je peux joindre Marie-Thérèse, même quelle m’écoute marcher sur le gravier du chemin. À Pancole, après la messe de 18 h, le prêtre tamponne mon créancial, mais quant à ce que je bivouac dans les parages pas question. Je me rabats donc vers un jeu de boules couvert, et quelle n'est pas ma surprise, vers 21 h, de voir débarquer des joueurs de boules, femmes et enfants compris, afin de faire la fête. Je ne peux hélas finir ma nuit ici et c’est le porche de l'église, mon dernier secours.

46ème jour. À ma pause petit-déjeuner, Gérard me rejoint, et ensemble, nous arrivons à San Gimignano, ville médiévale, avec ses imposantes tours carrées, figurant au patrimoine mondial de l'Unesco. L'on y flâne à la manière de touristes, y achète un bermuda et des cartes postales. Gérard tient à m'offrir une glace, et il connaît bien les lieux pour être venu ici en voyage. En fin d'après-midi dans un petit bourg où l'on prend une bière devant une épicerie je suis pris d'une fringale et me sens terriblement fatigué. C'est décidé je ne vais pas plus loin, mon compagnon de marche continue. Après avoir englouti gâteau, fruit, bière, je dors un peu à même le sol, puis repars pour enfin arriver à Strove, ou Gérard ne m'attendait plus.

47ème jour. Durant la nuit, un violent orage s'abat sur la région et c'est encore sous la pluie qu'au matin, nous repartons. Les chemins devenus ruisseaux, des branches cassées veulent nous empêcher de passer. Tout en cheminant, Gérard me raconte ses voyages à but humanitaire pour une ONG en Afrique en qualité de pédiatre, et au fond de moi, je me dis que moi aussi, j'aimerai bien transmettre mon savoir à quelqu'un… À Sovicille, mon compagnon de pèlerinage m'invite au resto, avec en dessert le fameux « tipico tiramisu » que je ne connaissais pas encore.

48ème jour. La paroisse de Luciano d'Asso sera ce soir, 1erSeptembre, notre refuge. Dans l'église moderne, il y a suffisamment des pièces à vivre où nous pouvons dormir. Le prêtre de la paroisse a invité un confrère congolais qui a concélébré la messe de 18h. Son nom est François d'Assise et pense que je peux lui rendre visite dans son pays.

49ème jour. Gérard est un pèlerin très organisé, chaque soir, il prévoit son point de chute du lendemain afin de réserver sa nuitée. Il a lui-même enregistré tout le parcours sur un GPS, ce qui, en complément du topo-guide lui est d'un grand secours. Je le répète ici, suivre le chemin d'Assise demande pas mal de flair. Aujourd’hui point de réservation possible dans ces contrées, rien sur le topo guide, plus grand-chose à manger dans nos besaces. Nous ne le savons pas encore, mais la providence va frapper. Nous sommes dimanche, et en fin d'après-midi, l'unique commerce d'un village dénommé Lucignano d'Asso est ouvert. Il s'agit d'une alimentation où l'on trouve à peu près de tout, charcuterie locale, fruits et vino, pour ne citer que l'essentiel. Des locaux sont assis sur des bancs, réunis dans ce lieu de vie, et, parmi eux, une femme comprend que nous cherchons un habitat pour la nuit. Elle nous propose de venir voir son atelier. C'est Gérard qui va reconnaître les lieux, pendant que je finis nos emplettes, tout me fait envie dans cette pittoresque boutique. C'est ok pour l'atelier de notre hôte, Amy, new-yorkaise, peintre en nature morte et paysages, ici elle profite des beaux panoramas de la Toscane. Ce soir, elle sera absente car elle doit se rendre à une invitation. Gérard et moi nous avons de quoi faire un festin, le réchaud à bois est de service pour la cuisson des pâtes. Durant la nuit une pluie d'orage ruisselait sur les tuiles du toit, blotti dans mon couchage, je me dis combien il est bon et agréable d'avoir cet abri, dans le silence de mon cœur, merci seigneur, merci Amy.

50ème jour. Avant notre départ, Amy nous offre le café et nous présente ses œuvres. De menaçants nuages se promènent sur les collines avoisinantes mais pour l'instant, il ne tombe pas une goutte. Le soir, en arrivant à Montepuiciano, une assez grosse ville, un violent orage éclate. Gérard trouve in extremis le refuge, sonne à l'interphone, explique en quelques mots notre situation, et enfin, le verrou grince ... ouf, il était temps, des trombes d'eau s'abattent dans la rue derrière nous.

51ème jour. Ce matin, je décide de partir seul, le temps reste gris et du coup, à midi, il pleut, et c'est sous le store d'une épicerie que je casse-croûte. Dans l'après-midi, il me faut marcher sur une digue pour me retrouver plus tard dans une imposante végétation où les repères deviennent invisibles ce qui me conduit finalement à m'égarer. Je reviens donc sur mes pas pour enfin arriver à Chuiti et son refuge vers 16 h. Gérard, de son côté, s'en est mieux sorti que moi grâce à son GPS, mais tout comme moi, n'a rien compris au tracé de cette étape. Nous venons de passer en Ombrie.

52ème jour. Rien de particulier si ce n'est une belle vue sur le lac naturel Trasimène, lac que l'on contourne assez largement, à mon grand regret, car j'aurai aimé aller sur ses rives où a eu lieu la bataille de Trasimène. Un peu d'Histoires donc : cette bataille s'est déroulée le 21 juin de l'an 217 avant J.C., bataille-clé de la 2ème Guerre Punique opposant les troupes romaines sous le commandement du Consul Flaminius à l'armée carthaginoise, avec à sa tête Hannibal. Hannibal son nom m'est familier car j'ai emprunté dans les Alpes le passage supposé dit « d'Hannibal et de ses éléphants ». En arrivant dans la ville de Tavernelle, un orage éclate et nous devons attendre une heure l'arrivée du prêtre afin qu'il nous ouvre la salle paroissiale. À l'intérieur nous attend lit de camp et cuisine aménagée, le grand confort, quoi!!

53ème jour. Longue marche le long des routes où nous sommes agressés par les voitures, comme si désormais la route leur appartenait sans partage possible, et du coup, j'ai rajouté un chiffon rouge à mes bâtons pour éloigner le danger. Aucun aménagement de prévu pour les cyclistes et les piétons, et l'angoisse qui s'empare de moi lorsqu'il faut longer les rails de sécurité, ne pouvant souvent passer derrière. C'est Mario qui ouvre la salle paroissiale à Torgiano.

54ème jour. Nous sommes le vendredi 17 septembre 2012 et, après avoir cheminé dans une plaine fertile, vers 12heures, Assise est en vue.Il nous reste un petit bonhomme de chemin pour atteindre vers 14heures la basilique St François,

La basilique Saint-François où se superposent deux espaces d'assemblée: l'un est dit « église inférieure », bâtie entre 1228 et 1230, et l'autre dit « église supérieure », construite au-dessus entre 1230 et 1253, dans le style gothique. Les deux églises réunies sous le même nom de basilique sont inscrites depuis 2000 au Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Avant d'y entrer, je dois mettre une tenue correcte, il fait très chaud la chemise me colle sur le dos. Dans l'église inférieure, nous empruntons un escalier pour descendre dans la crypte où repose Saint-François. Je suis quelque peu étonné par cette tombe en pierre, verticale, comme sertie autour d'une grille métallique. Gérard et moi restons assis sans mot dire, dans mon esprit rien, le vide. Nous suivons ensuite le flot des visiteurs qui montent dans l'église supérieure, où sont présentés dans toute la nef, les 28 tableaux de Giotto, retraçant la vie de Saint-François, magnifiques... Après le dernier tampon sur nos créanciales, il est temps pour nous d'aller prendre un rafraîchissement à l'ombre d'une terrasse. Sur un parking, face à une des portes de la vieille ville, un ballet incessant de bus entrant et sortant, déversent leur lot quotidien de visiteurs. Quand à nous deux, l'heure de nous séparer approche, Gérard a quant à lui réservé trois nuitées, comptant repartir lundi matin, quant à moi j'ai repéré sur un dépliant touristique un camping tout proche. À tout hasard, je sonne à diverses maisons religieuses, mais le verrou électrique reste silencieux. En une demi-heure, j'atteins le camping où je m'installe tranquillement je me sens bien ici il fait beau temps donc tout va bien, je pense rester ici une petite semaine afin de m'imprégner de ces lieux car aujourd'hui tout est passé trop vite.

55ème jour. Dans le camping, je ramasse un peu de bois mort afin de faire chauffer mon café, le soleil répond présent et cette journée s'annonce donc bien. Vers 9 heures, sac au dos en vue de quelques emplettes, je dévale le chemin qui relie le camping à la vieille ville, où je finis par dégotter une petite épicerie tenue par deux frères. Ah oui !! Me dis-je, les cartes postales, il va falloir sérieusement que je m'y colle. Au Moyen âge, des paroisses, ou même des familles, se cotisaient pour envoyer un pèlerin à Compostelle. Mettant inspiré de cette tradition avant mon départ, j'avais proposé à mon entourage.

Ceci : (Vers la fin juillet, Raymond part vers Assise. Deux mois de marche, de pèlerinage, (de prière avec les pieds) Vous pouvez prendre part à cette pérégrination sous la forme du parrainage.12 € pour une journée. Joindre une enveloppe non affranchie avec nom et adresse complète. Vous recevrez une carte postale du lieu et jour où j'ai porté vos intentions.)

Dans mon sac, j'ai bien, jusqu'ici, porté les enveloppes, et dans mon cœur, celles et ceux qui m'ont encouragé. Il m'a été impossible d'acheter, d'écrire et de poster une carte chaque jour, et c'est donc au terme de cette dernière étape, que les cartes promises seront toutes envoyées. J'espère ne pas trop décevoir. Assis sur les marches de l'escalier de l'office du tourisme.

J’écris : (Le Seigneur a mis sur mon chemin des frères qui comme vous, m'ont encouragé. Que Saint-François reçoit cette longue marche, comme une prière, pour vous et pour tous. La paix dans nos cœurs Raymond)

56ème jour. Ce dimanche matin, je flâne au hasard des rues. Une porte entrebâillée attire mon attention, et des chants m'incitent à y pénétrer. Une messe du rite anglican y est en cours, et, discrètement, sur un banc, je prends place. Une femme joue du piano, son chien couché à ses pieds. La célébration terminée, je suis invité pour le verre de l'amitié, le prêtre fête ses 32 ans de mariage. Les membres de cette communauté ont réservé, dans un resto tout proche, une table où l'on m'invite gentiment. Pratiquement tout le monde a choisi une pizza comme plat unique. Le prêtre parle heureusement assez bien le français car mon anglais n'est pas meilleur que mon italien. Mais peu importe, même si je ne comprends pas tout, l'ambiance est détendue, les pizzas bien garnies, le vin est bon. Tout à coup, une femme me questionne, via le prêtre comme traducteur, ''la raison de ce pèlerinage''. Sans réfléchir je m'écoute dire par la recherche d'une quête d'Amour, le souvenir de mes parents me traverse alors l'esprit, l'émotion m'envahit en temps ordinaire je contrôle, mais là, je ne peux l'éviter.

57ème jour. C'est le cœur léger que je déambule dans les rues, mes pas me dirigeant vers mes épiciers. L'un d'entre eux a un tic nerveux, il donne un coup rapide sur le comptoir, puis sur lui-même, au début ça surprend quelque peu. Après avoir trouvé au point internet mes dernières adresses pour les cartes postales, j'en termine avec le courrier. Une guérite, à l'entrée principale de la basilique, informe que l'on peut y faire des offrandes de messe. Je dois par deux fois expliquer que je suis ici bel et bien pour cette offrande et non pour des informations touristiques, les hommes d'Église sont parfois déroutants. Sur une feuille, je dois noter mes intentions: Merci, Seigneur pour m'avoir donné les forces nécessaires tout au long de cette pérégrination. Merci à toutes celles et à tous ceux qui m'ont accueilli durant ce parcours, ou encouragé avant le départ. Le manque de place sur cette feuille m'empêche de prolonger mon texte, j'aurais voulu ajouter: Seigneur, touche le cœur de celles et ceux qui n'ont pas reconnu ton pèlerin, et aide-moi à pardonner. Contre 10€, on me remet un reçu à l'en-tête de la Basilica Papale DI S. Francesco, reçu que je range précieusement. Je dois prendre date pour le retour, Gérard m’a filé un bon plan, l'adresse d'une agence de voyages, où l'on planifie mon itinéraire, et, billets de train en poche, coup de fil à la maison où mon fils Jean-Luc a la primeur de mon retour. Ce soir, avec mes voisins de camping, un couple d'Allemands, nous allons en voiture à Saint Damiano afin d'assister aux complies avec la communauté des frères franciscains. Aujourd'hui dans la chapelle, la croix dite de saint Damien est une copie de l'authentique. ((Cette croix de grande taille (environ 190 cm de hauteur, 120 cm de largeur et 12 cm d’épaisseur) est constituée d’une plaque de noyer, sur laquelle est collé du tissu. Dans le style de la peinture syriaque, elle a été peinte en Italie au 12ième siècle, probablement destinée à être accrochée au-dessus de l’autel de la chapelle San Damiano. Il se trouve aujourd’hui dans la basilique Sainte Claire, à Assise. François d’Assise priait devant cette image quand il entendit une voix venant du crucifix qui lui disait « François, va et répare ma maison qui, tu le vois, tombe en ruines »))

58ème jour. Peu à peu, le camping se vide de ses occupants. Les journées raccourcissent, la ville elle-même est plus calme, cela sent la fin. La fin d'une saison, d'un pèlerinage, demain le départ. Comme l'enseigne un proverbe tibétain: le bonheur n'est pas au bout du chemin, c'est le chemin qui est le bonheur. Assis sur deux cageots, je prends mon petit-déjeuner, me réchauffant au soleil. Un rituel avec le réchaud à bois, la nature m'offrant le bois mort. Quête d'authenticité, vivre le plus proche possible de la nature, se déplacer grâce à sa propre énergie, tout ceci ressemble au bonheur. En son temps, St François parlait de la joie parfaite à frère Léon. J'ai lu plusieurs fois ce récit, et je mesure encore le chemin à parcourir pour pénétrer cette dimension-là. Une fourmi se donne vraiment de la peine pour emmener une miette de mon gâteau, et tel St François, je veille sur elle.

59ème jour. L'heure de la préparation du sac en vue du départ a sonné, c'est ainsi. Je me sens prêt à quitter Assise, et ses vieilles pierres. Je ne peux décemment passer devant l'alimentation sans dire au revoir aux deux épiciers, toujours affairé à leurs affaires. Un bus me dépose à la gare d'Assise, et à 17h17 pétantes, un train régional se lance courageusement en direction de Florence. Arrivé là, un rapide pour Milan, et enfin un train couchette pour la France. Des voyageurs de toutes origines s'empilent dans les wagons, tous vont à Paris… Le responsable chargé de contrôler les titres de transport garde ma carte d'identité, afin de me réveiller en gare de Dijon à 6 h 20. Ce train est complètement vétuste, cahote deçà delà gentiment, mais emmène son voyageur jusqu'au bout de la nuit.

60ème jour. Arrivée en gare de Dijon, et là, changement de climat, survêtement de rigueur. Il me faut trouver une correspondance pour Montchanin, et pour finir un bus TGV. Il est en retard, mais une fois parti, nous roulons sous la pluie à vive allure en direction de Paray-le-Monial, où m'attend Marie-Thérèse dans sa petite auto toute rouge. Voilà... La boucle est bouclée. Je n'ai pas l'impression d'avoir été parti trop longtemps, rien n'a changé, tout a continué.

Jour, après jour…

Quête d'absolu, quête d'Amour, quête d'une éternelle jeunesse...Cette longue marche n'a rien en soi d'une performance sportive, et nullement son but, mais, jour après jour, une certaine humilité permet de recevoir les forces nécessaires.

Merci, Marie-Thérèse, pour ton oui.

Raymond